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Parenthèses d'ombre et de lumière

10 janvier 2009

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15 février 2008

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30 janvier 2008

Le Wu wei



Le TAO de POOH  Benjamin HOFF

"Nous voici parvenus à ce qu'on pourrait considérer comme l'élément le plus caractéristique de l'action du Tao. En chinois, il est appelé Wu wei. En anglais et en français, on ne le connaît pas comme quelque chose de particulier, et nous pensons qu'il est temps que quelqu'un le remarque et lui donne un nom ; c'est pourquoi nous le baptiserons la Voie de POOH. Littéralement Wu wei signifie " non-agir, non-provoquer, ou non-faire ". Mais du point de vue pratique, il signifie plutôt sans effort inapproprié, égoïste et exagéré. Le fait que le caractère Wei provienne des symboles désignant une main qui s'agrippe et un singe est assez significatif, puisque le terme Wu wei a le sens de ne pas aller contre la nature des choses, de ne pas fausser son habileté, de ne pas faire le singe. L'efficacité de Wu wei est comparable à celle de l'eau qui s'écoule en passant par-dessus et en contournant les rochers qu'elle rencontre. Elle ne correspond pas à l'approche mécanique et linéaire qui aboutit en général à court-circuiter les lois naturelles, mais au contraire à celle qui émane de la sensibilité intérieure des rythmes naturels du monde...

En apprenant à travailler avec notre Nature Intérieure et avec les lois naturelles qui opèrent autour de nous, nous atteignons le niveau de Wu wei. Alors nous travaillons avec l'ordre naturel des choses et opérons selon le principe de l'effort minimal. Puisque le monde naturel suit ce principe, il ne fait pas d'erreurs. Les erreurs sont commises - ou imaginées - par l'homme, cette créature qui a un cerveau surchargé et fait une séparation entre lui-même et le réseau de lois naturelles qui le supportent, en interférant et en forçant sans cesse sa nature…. Cela signifie que le Tao ne s'impose pas ou n'interfère pas sur les événements, mais les laisse agir selon leur propre voie, pour produire des résultats de manière naturelle. Alors tout ce qui a besoin d'être fait est fait. "Agir sans agir". De ce principe, Wei Wu wei, découle Tzu jan, le "Soi ainsi". Il signifie que les choses se produisent d'elles-mêmes, spontanément. "

L'intelligence, comme d'habitude, essaye de s'approprier tout le mérite qu'elle peut. Mais le responsable, lorsque les choses marchent, n'est pas l'Esprit Intelligent, C'est l'Esprit qui voit à quelle situation il a affaire et suit la nature des choses. Si vous vous accordez au principe de Wu wei, vous faites passer les billes de bois par des ouvertures rondes et les cubes par des ouvertures carrées. Il n'y a pas de stress, pas de lutte, pas de conflit. Animé par le Désir, on essaye de faire passer de force les billes par des ouvertures carrées et les cubes par des ouvertures rondes. L'Intelligence tente d'inventer des moyens habiles pour adapter les éléments de bois à des ouvertures qui ne leur correspondent pas. Quant à la Connaissance, elle essaye de comprendre pour- quoi les billes correspondent aux ouvertures rondes et non à des ouvertures carrées. Mais Wu wei n'essaye pas. Wu wei n'y pense pas. Il se contente d'agir. Et quand il agit, il ne donne pas l'impression de faire quoi que ce soit. Mais les Choses-Sont-Réalisées.

Et quand on essaye trop fort, ça ne marche pas. Essayez d'attraper très vite et avec précision un objet quelconque en ayant le bras tendu ; puis relaxez-vous et essayez encore. Essayez de faire n'importe quoi avec un esprit tendu. La manière la plus sûre de devenir tendu, maladroit et confus est de développer un esprit qui essaye trop fort, un esprit qui pense trop. Les animaux de la forêt ne pensent pas trop, ils Sont. Mais pour un nombre incalculable de gens, et pour paraphraser un grand philosophe, la situation est la suivante : " Je pense donc je suis confus. " Si l'on compare les grandes villes et la forêt, on peut se demander pourquoi l'homme se classe comme l'animal le plus évolué.

"Si les gens étaient plus évolués que les animaux, ils prendraient plus grand soin de la Terre ", dit Pooh. " C'est vrai ", reconnus-je.

Mais au fil des siècles, l'homme a développé un esprit qui l'a séparé du monde de la réalité, le monde des lois naturelles. Cet esprit fait trop d'efforts, s'use trop, et finalement s'affaiblit et s'amollit. Un tel esprit, même s'il est d'une très haute intelligence, devient inefficace. Il va et vient, avance, recule, mais ne réussit pas à se concentrer sur ce qu'il fait au moment présent. Il conduit une automobile à vive allure dans la rue et pense au magasin devant lequel il va s'arrêter, à la liste d'articles ménagers à acheter. Puis il se demande comment arrivent les accidents. En suivant le principe du Wu wei, il n'arrive pas de vrais accidents. Parfois les choses empruntent des voies un peu étranges, mais elles finissent par s'accomplir. Vous n'avez pas besoin de les forcer pour qu'elles aient lieu ; vous laissez faire.

Ceux qui agissent en suivant la Voie de Pooh voient des choses comme celle-ci leur arriver tout le temps. C'est difficile à expliquer, sinon par des exemples, mais c'est ainsi. Les choses surviennent simplement au bon moment, dans le bon sens. Du moins lorsqu'on les laisse opérer, lorsqu'on agit en accord avec les circonstances au lieu de proclamer : "Ça n'est pas censé se produire de cette manière ", et d'essayer de les faire se produire autrement. Si vous respectez l'ordre et la nature des choses, celles-ci suivront alors la voie qui est la leur, qu'importe ce que vous pourrez en penser sur le moment. Plus tard, vous vous direz : " Oh, maintenant je comprends. Il fallait que ça arrive pour que ceci se produise, et que ceci se produise pour que cela se réalise.. " Vous vous rendrez compte alors que, même si vous aviez tout arrangé pour que cela marche à la perfection, vous n'auriez pas pu faire mieux, et si vous aviez réellement entrepris d'intervenir tout aurait pu tourner de travers.

A son niveau le plus élevé, Wu wei est indéfinissable et pour ainsi dire invisible, parce que cette forme d'agir est devenue un réflexe. Selon une parole de Tchouang-tseu, l'esprit de Wu wei " s'écoule comme de l'eau, réfléchit comme un miroir, et répond comme un écho ".En agissant avec Wu wei, vous vous laissez porter par les circonstances et suivez votre intuition. " Ce n'est pas le meilleur moment pour accomplir ceci. Je ferais mieux d'aller dans cette direction. " Lorsque vous agissez ainsi, les gens s'imaginent que vous avez une sorte de sixième sens. Mais en réalité, ça n'est qu'être sensible aux circonstances. Etre simplement naturel. Ce n'est étrange que pour celui qui ne sait pas écouter sa nature. Un des aspects les plus pratiques de cette sensibilité aux circonstances est de ne pas avoir besoin de prendre autant de décisions difficiles. Au contraire, on les laisse se former toutes seules.

L'approche Wu wei appliquée à la solution de conflits est parfaitement illustrée par la pratique de l'art martial taoïste, le t'ai chi ch'uan, dont l'idée de base est de contrer son adversaire, soit en lui renvoyant son énergie, soit en la faisant dévier, en sorte de l'affaiblir, de le déséquilibrer, et de lui faire perdre sa position de combat. Jamais on ne s'oppose à la force par la force ; on en vient à bout, au contraire, en cédant. On peut comprendre le principe de Wu wei sous-jacent au t'ai chi ch'uan en imaginant un bouchon de liège flottant à la surface de l'eau et sur lequel on taperait. Plus on tape fort, plus il s'enfonce ; plus il s'enfonce, plus il remonte vite. Sans dépenser aucune énergie, le bouchon vient aisément à bout de tous nos efforts. De même, Wu wei vainc la force en neutralisant son pouvoir plutôt qu'en ajoutant au conflit."

30 janvier 2008

Le Tao

"Le tao ou dao est un terme de philosophie chinoise (en chinois 道, dao signifiant : « la voie », « le chemin » ; prononcé do en japonais).

Le tao est la force fondamentale qui coule en toutes choses dans l’univers, vivantes ou inertes. C'est l’essence même de la réalité et par nature ineffable et indescriptible. Il est représenté par le tàijítú, symbole représentant l’unité au-delà du dualisme yin-yang soit respectivement l'entropie positive et négative.

Le tao peut être considéré comme la matrice préalable au sein de l'univers au passage du qi ou souffle originel, précédant la parité binaire du yin-yang. Il est au cœur des conceptions éthiques chinoises (le mot "daode", morale, en est issu), généralement considérées comme une pragmatique du juste milieu, ou du choix propice.

Le tao est la notion maîtresse à l'œuvre dans le taoïsme, philosophie et voie spirituelle chinoise, le confucianisme y fait référence aussi (on utilise parfois abusivement le terme Tao pour dénommer le livre de Lao-zi, le Dao De King  ou "classique du Dao"). Il est souvent traduit par « le principe ». Par extension, un grand nombre de pratiques et d'arts ou artisanats orientaux ont comme suffixe le mot "dao", "l'art de" : "cha dao", l'art du thé, "kongshoudao" ou "karaté-do", "l'art de la main vide" et ainsi de suite.

Les arts martiauxchinois sont un moyen pour parvenir à cette unité entre les deux principes et avancer sur le tao. Par métronimie un tao est un enchaînement de mouvements, le chemin menant à la maîtrise de l’art et donc vers l'unité. En chinois, on appelle également lu ce type d'exercice (voir aussi le motjaponais kata ).

Au Japon, sur le même principe initial, c'est aussi la « voie » à suivre pour maîtriser un art qui mène vers l’unité. Le même idéogramme, le kanji (), est généralement utilisé en suffixe dans les nom d’arts martiaux japonais :karate, aïki, ken , ju, bu, iai, , etc., mais aussi le ka « voie des fleurs », autre nom de l’ ikebana, l’art de l’arrangement floral nippon, ou le shodō « voie de l’écriture », la calligraphie japonaise.

Lao tseu disait : "Le Tao que l'on peut nommer n'est pas le Tao". Le taoïsme est avec le confucianisme la forme de pensée la plus originale en Chine et dans certains pays d'Asie. Les concepts qui y sont reliés ont joué un rôle central dans le développement des sciences chinoises. Il met en évidence un choix de pensée non-discursif et non-analytique qui peut paraître obscur aux modes de pensées occidentaux plus cartésiens : exactement à l'opposé du point analytique idéal proposé par Bergson, qui conférerait au langage un angle objectif sur le réel."

tiré de wikipedia

24 janvier 2008

Le tai chi chuan

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Le taichi chuan est un enchaînement de mouvements comme un combat au ralenti face à un adversaire invisible., une des traduction est d'ailleurs  "boxe de l'ombre".  Il peut également être pratiqué avec des armes (épée, sabre, batons...).
Chaque mouvement est réalisé dans une dynamique martiale qui peut-être testée dans un travail à deux.
Si le mouvement est juste et efficace, l’énergie que l’on appelle « chi » est canalisée et devient très puissante. La circulation de cette énergie a un bénéfice martial mais aussi pour le pratiquant lui-même.
Paradoxalement c’est dans la puissance de l’intention et du lâcher-prise que l’on découvre l’efficacité d’un mouvement et non pas dans la force musculaire (qui pourrait par ailleurs être renvoyée en retour contre soi-même.

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Pour développer un peu plus:

Le Tai ji quan  est mal connu et, aux yeux d'un novice, n'apparaît que la lenteur des gestes alors qu'il s'en dégage une vraie force.Cependant, le Tai ji quan est un art martial. Mais justement, qu'appelle-t-on un art martial.[...]

Le terme d'art martial est le plus souvent une école enseignant à la fois une technique de combat et la connaissance et la maîtrise de soi. La recherche d'un meilleur contrôle de soi et de son environnement est primordiale.
Le "taij"i est le résultat de l'union entre les souffles yin et yang qui s'opposent et se complètent dans un mouvement d'équilibre dynamique.
Mais le "taiji" existe aussi en dehors de ce que l'œil humain est capable de voir et de comprendre. Le "taiji" représente les changements et le développement des phénomènes naturels, de la pousse des plantes à la rotation terrestre et des mouvements des galaxies.
Ces mutations ne sont pas immédiatement perceptibles par l'homme, c'est pourquoi on ne considère pas le "taiji" uniquement comme mouvement mais également immobilité dans le mouvement.
Et c'est à partir de cette notion imperceptible par l'esprit puisque inexistante, "vide"', qu'il faut appréhender la constance des mutations cycliques du cosmos et les mouvements de création, de développement, de changements qui interviennent dans la nature.
On n'est plus dans le domaine de la perception mais de la sensibilité, on passe de l'action concrète à un état.

L'homme ne doit pas agir mais ressentir, recevoir, rester humble et imiter ce calme de la nature afin de pouvoir se fondre en elle et la ressentir dans toute sa globalité.
L'homme doit devenir comme l'eau - source de la vie -, qui est l'entité la plus souple de la nature : "l'eau est sans forme, elle prend ses formes au hasard de ce qu'elle rencontre", elle prend la forme de son récipient, contourne les obstacles qui se dressent devant elle...

Le Taijiquan tire son nom du "taiji" principalement pour trois raisons : premièrement, au cours de l'enchaînement, il n'y a aucune coupure et les mouvements peuvent se faire dans un mouvement circulaire sans fin, chaque mouvement en amène un autre, ce n'est que les contraintes humaines qui obligent à placer une fin. Deuxièmement, le Taijiquan se divise en mouvements yin/yang, d'ouverture et de fermeture, d'inspiration et d'expiration, d'élévation et d'abaissement, de mobilité et d'immobilité, de vide et de plein, pour finalement former un tout se suffisant à lui-même. Troisièmement, la réalisation d'un enchaînement doit se faire dans un calme absolu de l'esprit qui s'efface pour laisser place aux mouvements.

Le Taijiquan vise à un niveau d'accomplissement de soi qui dépasse les autres arts martiaux chinois. Ce qui fait vraiment la difficulté de cet art est justement la recherche permanente des pratiquants vers un "taiji", rendant son étude aussi vaste que l'est l'univers. Et pour pouvoir construire son propre niveau, il faut d'abord beaucoup travailler sur les bases techniques

L'impression de douceur est bien présente, et plus qu'une impression, elle est bien réelle,  la même que nous fait parvenir la nature, une espèce de sérénité et de plénitude vide (ou de vide plein) d'où émane une grande force. Cependant, il est très difficile d'arriver à ce niveau de pratique. En théorie, cela paraît extrêmement simple et à la portée du premier débutant. Mais il ne faut pas oublier que l'homme, le plus haut dans l'échelle animale, est loin d'avoir les capacités physiques et le "6"'"' sens" de l'animal.
Mais ce que l'homme peut développer avec son corps est d'une grande richesse tant intérieure que physique.

Mais cet art est semblable au taiji : c'est une évolution perpétuelle dont on ne trouve jamais la fin . Depuis l'Antiquité, les maîtres d'arts martiaux se sont succédés mais aucun n'est arrivé à en épuiser toutes ses ressources. Et pour arriver à un niveau qui permette au pratiquant de ressentir toutes les subtilités de cet art, il faudra au débutant des dizaines d'années d'entraînement et de perfectionnement.

Le Taijiquan est toutefois accessible à tous car les mouvements techniques eux-mêmes ne demandent pas de force physique ou de rapidité d'accomplissement.
De plus, cet art met en avant la tolérance face aux écarts de capacités physiques,
Il ne faudra jamais se forcer à faire des mouvements qui sont hors de notre portée. L'important est le travail que nous faisons nous-mêmes sur l'énergie, son propre enracinement et sa souplesse relative
.

Le Taijiquan est  souvent traduit "boxe avec l'ombre".
Il satisfait non seulement aux spécificités de l'art martial mais donne également une place très importante à l'énergie.
Pour cela, il s'appuit sur les bases de l'enchaînement, élément clé de la pratique permettant de consolider  son énergie, le "qi", afin de réguler sa respiration sur ses mouvements, de fortifier sa substance énergétique et musculaire et affiner sa sensibilité.
Cet art martial est ardu et très exigeait si on tend à la recherche de son vrai sens.
Bien sûr, l'apparent de douceur est bien une composante de la pratique mais elle ni vient qu'après des efforts intenses d'assimilation de la forme c'est l'aboutissement d'années d'entraînement.

D'après un article de Yvonne Ly  paru dans la revue Yi magazine juin 2005 (magazine interne de la fédération De taichi Chuan & Qi Qong)

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17 janvier 2008

La violence est ce qui nous échappe

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"No s'est endormie. Elle a terminé la bouteille de vodka. Je regarde l'heure encore une fois. J'aimerais m'allonger. à côté d'elle, fermer les yeux, attendre quelque chose qui ressemblerait à une musique, quelque chose qui nous envelopperait.
Je n'ai pas entendu Lucas, il est debout devant moi.
No ouvre les yeux. Elle est livide, elle murmure je vais vomir, Lucas fait vite, il l'attrape sous les bras pour l'emmener aux toilettes, elle prend appui sur la cuvette, se penche en avant, il la soutient tout le temps que ça dure. Des billets dépassent de la poche de son Jean, des billets de cinquante euros, il y en a plusieurs, dans son dos j'attrape le bras de Lucas sans rien dire, du doigt je lui montre. Alors Lucas entre dans une rage folle, îl la plaque contre le mur, il se met à hurler, il est hors de lui, je ne l'ai jamais vu comme ça, il hurle qu'est-ce que tu fais, No, qu'est-ce que tu fais, il la secoue à toute force, réponds-moi, No, qu'est-ce que tu fais ? No serre les dents, les yeux secs elle le regarde sans répondre, elle ne se défend pas, elle le regarde avec cet air de défi, et je sais bien ce que ça veut dire, il la tient par les épaules, et moi je crie arrête arrête et j'essaie de le retenir, elle le regarde et ça veut dire qu'est-ce que tu crois, comment tu crois qu'on peut s'en sortir, comment tu crois qu'on peut sortir de cette merde, je l'entends comme si elle hurlait, je n'entends plus que ça. Quand il finit par lâcher prise elle retombe sur le carrelage, elle s'ouvre la lèvre sur le rebord de la cuvette, il claque la porte et la laisse là, hagarde. Alors je m'assois à côté d'elle, je caresse ses cheveux, le sang coule sur mes mains, je dis c'est pas grave et je le répète plusieurs fois, c'est pas grave, mais au fond je sais que c'est grave, au fond je sais que je suis toute petite, au fond je sais qu'il a raison : nous ne sommes pas assez forts.

Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque."

No et moi d de Vigna

free music

12 juin 2007

Sentier de lumière

Sentier de lumière

j'ai dormi trois siècles sur un lit de rochers
j'ai vu des choses oubliées des hommes
j'ai mesuré la distance qui sépare le ciel de la terre
j'ai lu les lignes de la main j'ai rendu les oracles
une voix qui n'était pas la mienne a parlé par ma bouche
j'ai disparu dans une ville elle-même disparue
des cavaliers en armes ont envahi nos plaines
nous sommes restés dans l'attente d'autres barbares
la mer s'est retirée des portes de ma ville
je me suis concilié les fleuves de la terre
j'ai orné le jour du tatouage de mes rêves
mon visage a vu mon autre visage
je n'ai pas entendu la voix qui m'appelait
la main qui me cherchait ne m'a pas trouvée
je suis née plusieurs fois de chaque étoile
je suis morte autant de fois du soleil des jours
j'ai pris très tôt des bateaux pour nulle part
j'ai demandé une chambre dans la patrie des autres
je n'avais rien accompli avant nos adieux
j'ai habité le couchant le levant et l'espace du vent
j'étais cette étrangère qu'accompagnait le soir
deux fois étrangère entre nord et sud
j'ai gravé des oiseaux tristes sur des pierres grises
j'ai dessiné ces pierres et les ai habitées
j'ai construit des radeaux où il n'y avait pas d'océans
j'ai dressé des tentes où n'étaient nuls déserts
des caravanes m'ont conduite vers un rêve d'orient
mes calligraphies ont voyagé sur le dos des nuages
je me suis souvenue de la neige des amandiers
j'ai suivi la route aérienne des oiseaux
jusqu'au mont de la lune aux duvets des naissances
j'ai appris et oublié toutes les langues de la terre
j'ai fait un grand feu de toutes les patries
j'ai bu quelques soirs au flacon de l'oubli
j'ai cherché mon étoile dans le lit des étoiles
j'ai gardé ton amour au creux de ma paume
j'ai tissé un tapis avec la laine du souvenir
j'ai déplié le monde sous l'arche des commencements
j'ai pansé les plaies du crépuscule
j'ai mis en gerbes mes saisons pour les offrir à la vie
j'ai compté les arbres qui me séparent de toi
nous étions deux sur cette terre nous voilà seuls
j'ai serré une ceinture de mots autour de ma taille
j'ai recouvert d'un linceul l'illusion des miroirs
j'ai cultivé le silence comme une plante rare
lueur après lueur j'ai déchiffré la nuit
la mort un temps m'a courtisée
j'ai cherché dans le soleil la direction du soleil
je me suis couchée dans ma tombe et me suis relevée
je me suis égarée puis retrouvée d'une genèse à l'autre
je t'ai attendu sans t'attendre
jusqu'à ce que tu deviennes poème
j'ai mêlé la chair à l'argile et à la lumière
j'ai mêlé le souffle à ce qui était déjà souffle
j'ai habité la maison chaude de ta voix
j'ai fait naître les souvenirs avant qu'ils n'aient vécu
j'ai caché mon amour sous les pudeurs de l'ombre
je me suis demandé comment le dire avant de le dire
et pourquoi je ne le disais pas
j'ai dit qu'il était temps que j'aille vers toi
j'ai rampé jusqu'à tes lèvres sur un lit de ronces
j'ai cru que ce qui nous unissait
était ce qui nous ressemblait
je me suis cherché en toi un pays une langue
en m'éloignant du rêve je m'en suis approchée
j'ai noirci des pages avec la nuit du poème
l'oiseau noir du silence les froissait une à une
j'ignore encore quelle langue me parle et m'absout
j'ai pris un sentier de lumière qui mène à l'horizon
mon pays : un bouquet d'adieux cueillis au fil du temps
j'ai déroulé ses rives comme une natte d'alpha
j'ai trouvé un nom pour ce gui reste de l'enfance
pour fleurir entre tes bras
j'ai jeté les oranges du souvenir dans un puits
j'ai dessiné mon amour à la craie sur une muraille d'eau
rien ne demeure dans la mémoire des hommes
je marchais en moi et loin de moi
une ombre parfois épousait mon ombre
à chaque départ je tranchais un lien
libérais l'oiseau de feu des cendres de la mémoire
je marchais en toi et loin de toi
je me suis alliée à l'alphabet du sable
aux ondulations de la vague
à la paix qui clôt tes paupières
mon chant sera à l'image de cette paix
j'ai reconnu l'aube à l'aube dans son regard
j'ai voulu le jour à l'image de ceux que j'aime
j'ai apprêté la nuit pour la moisson du rêve
j'ai courtisé le visible j'ai étreint l'invisible
j'ai tout lu de la terre dans le grand livre de la terre
j'ai témoigné de l'éphémère et de l'éternité de l'instant
je me suis attardée au seuil de chaque seuil
nos morts appelaient de l'autre rive
les lignes de leur monde sillonnaient nos mains
l'écho de leurs voix s'épuisait dans la distance
les suicides du sang étaient autant de pierres
dans les remparts du temps
j'ai fait mes premiers pas dans le limon des fleuves
on m'a ensablée vive sous un amas de dunes
on a obstrué la caverne - que mon sommeil s'éternise
on a exilé mon corps à l'intérieur de mon corps
on a effacé mon nom de tous les registres
jusqu'aux épousailles des deux rives
j'ai porté en moi le vide comme la bouche d'un noyé
décembre a disparu derrière l'horizon
j'ai appelé - seul le silence était attentif
j'ai vu les siècles s'égarer jusqu'à nous
le grenadier refleurissait entre les stèles
ma ville changeait de maîtres comme de parure
ma terre : un nuage en marge du levant
pourquoi chercher un lieu quand nous sommes le lieu
mon ombre a gravi un long chemin jusqu'à moi
un jour je suis entrée dans la maison de la langue
j'ai niché deux oiseaux à la place du cœur
j'ai traversé le miroir du poème et il m'a traversée
je me suis fiée à l'éclair de la parole
j'ai déposé un amour insoumis dans le printemps des arbres
et délivré mes mains pour que s'envolent les colombes.

Amina Saïd / La difference, Paris

4 février 2007

Mon théatre secret Jean Tardieu

Texte dans son intégralité:

Le lieu où je me retire à part moi (quand je m'absente en société et qu'on me cherche, je suis là) est un théâtre en plein vent peuplé d'une multitude, d'où sortent, comme l'écume au bout des vagues, le murmure entrecoupé de la parole, les cris, les rires, les remous, les tempêtes, le contrecoup des secousses planétaires et les splendeurs irritées de la musique.
Ce théâtre, que je parcours secrètement depuis mes plus jeunes années sans en atteindre les frontières, a deux faces inséparables mais opposées, bref un «endroit- et un «envers», pareils à ceux d'une médaille ou d'un miroir.
De ce côté-ci voyez comme il imite, à la perfection, l'inébranlable majesté des monuments: il semble que je puisse compter toutes les pierres, caresser de mes mains le glacis du marbre, les fractures des colonnes, la porosité du travertin...
Mais, attendez: si je fais le tour du décor (quelques pas me suffisent), alors, de l'autre côté de ces apparences pesantes, de ces voûtes et de ces murailles, mon regard tout à coup n'aperçoit plus que des structures fragiles, des bâtis provisoires et partout, dans les courants d'air et la pénombre poussiéreuse, auprès des câbles électriques entrelacés et des planches mal jointes, la toile rude et pauvre, clouée sur des châssis légers.
Telle est la loi de mon théâtre: à l'endroit, les villes et les paysages, la terre et le ciel, tout est peint, simulé à merveille. A l'envers, l'artisan de ce monde illusoire est soudain démasqué, car son œuvre, si ingénieuse soit-elle, révèle, par transparence, la misère des matériaux qui lui ont servi à édifier ses innombrables - trompe-l'œil ». (Souvent je l’ai vu qui gémissait, le pinceau à la main, mêlant ses larmes à des couleurs joyeuses.) Pourtant, bien que je sois dans la confidence, je ne saurais dire où est le Vrai, car l'envers et l'endroit sont tous deux les enfants du réel, énigme qui me cerne de toutes parts pour m'enchanter et pour me perdre. C'est sur ces échafaudages, tremblants et vides, mais très hauts, comme la voilure des trois-mâts, c'est là que se déroule, nuit et jour, l'inépuisable spectacle, sous les rafales tournantes des phares dont la source inconnue met au monde les fables qui, depuis l'enfance, m'ont nourri sans me consoler.
Ici, rien ne s'accroît ni ne diminue. L'horloge du beffroi reste au point mort, midi ou minuit, je ne sais. Les arbres ont adopté, chacun, une saison et n'en changent plus : côte à côte les uns sont couverts de fruits, les autres de neige. Le printemps coexiste avec un automne aviné et la femme aux seins lourds, aux yeux clairs et rieurs, jouant les rôles de servante, ne vieillira jamais.
Ici, plus de ménage, ni de marché ni d'hôpital, adieu béquilles et pansements, paniers à provisions, temple de l'esclavage, ni les congrès, ni la messe, ni canons, ni chars, ni tombeaux, ni l'heure de la soupe, ni l'heure de mourir, ni l'école, ni l'église, ni le bordel, ni les petits malins, ni les grands magasins. Allez au diable, peste de l'habitude, horribles riens de tous nos jours !
Ici, dans l'étendue redoutable et frémissante des coulisses -vraies et fausses comme l'Histoire-, les habitants qui vont et viennent sans se connaître, occupés à des jeux ridicules, à des crimes incompréhensibles et sacrés, portent les vêtements de tous les pays, de tous les âges -et je suis leur contemporain.
On me dit, mais je ne l'ai jamais vu, que, dans cet empire opulent et dérisoire, il y a des lieux cachés où, pareils aux femmes de Barbe-Bleue pendues dans l'armoire interdite, sont rangés tous les personnages dont nous ne sommes que les ombres, prêts à s'ébrouer au premier signal du régisseur et à monter en scène, selon la suprême ordonnance du programme, dans une réitération furibonde.
C'est que s'affirme ici, contre les désastres du feu, de la guerre et de l'eau, la toute-puissance du Texte, fixé en lettres et en images, sur les feuilles des grands livres, où les rumeurs du parler des peuples, conservées dans les herbiers de l'écriture, se taisent pour se maintenir. S'il est des jours où luit le miroitement des rayons sur l'océan, si les amoureux échangent des sanglots pour des baisers sans fin, si les conspirateurs, fourbissant leurs armes dans les tavernes, feignent de boire dans des gobelets de carton — quoi qu'il arrive, je sais que tout est d'abord désigné et inscrit —, avant d'apparaître sous les projecteurs et que rien de ce qui fait semblant de vivre et de mourir n'échappe aux plus fragiles et aux plus minces des supports : la feuille imprimée, les panneaux du peintre, la grille ailée des musiciens. Souvent des cloches, lourdes ou grêles, parfois le sifflement d'une locomotive à vapeur, un gong, un clairon nasillard, un glissando de harpe, le roulement d'un tambour voilé, s'échelonnent du proche au lointain, rendant le silence et l'obscurité plus profonds encore et la lumière plus glauque, car le prélude est fait pour être deviné plutôt que compris, pour créer une attente curieuse ou angoissée, selon les rites de l'orage, avant que le tonnerre ne s'approche et que la foudre, dans le plein accomplissement de l'orchestre, ne nous apporte enfin la délivrance, le châtiment des innocents.
Peu après, éclate la Fête.
D'abord viennent les balayeurs, soldats de plume et de paille, aux gestes unis en cadence, troupe aussi nombreuse qu'une harde en forêt, aussi policée qu'un ballet de cour.
Alors les ténèbres des décors s'éclaircissent peu à peu: quelques points ça et là, puis d'autres, beaucoup d'autres et la scène s'embrase en retard, comme si la lumière était plus vaste que les lampes.
Ensuite le corps des balayeurs se disperse ou plutôt je passe au travers de ces taciturnes fantômes et la représentation peut, enfin, commencer.
L'innombrable théâtre vient à moi, qui suis seul dans la salle. Souvent aussi, c'est moi qui vais à sa rencontre. Je m'avance, écartant le murmure des acteurs et découvrant les scènes successives, qui s'illuminent au fur et à mesure de ma promenade inquiète et ravie. Il n'est pas rare qu'au détour d'une rue pavée de dalles à l'antique, j'aperçoive, assise nue et jouant de la flûte à deux becs, une jeune musicienne dont les contours délicieux sont à peine ombrés (car elle vient, pour commencer à vivre, de se détacher de la pierre), et, quelques pas plus loin, sur un fond de ténèbres fumeuses et sifflantes une longue femme hagarde qui cherche à effacer sur sa main une tache indélébile. L'une est mon loisir, ma volupté, l'autre ma souveraine, ma mère, mon amante impitoyable.
Mais mon propre rôle n'est pas seulement d'être le spectateur. Je gravis parfois les degrés jusqu'à la scène, où je me sens transfiguré. Je joue, je vocifère et tantôt je déclame l'ardente conjuration, la plainte sans espoir, l'adieu cruel, prenant à témoin les lumignons des corridors et les toiles d'araignées, tantôt j'apprends à me taire, roulant des yeux sous mes sourcils et méditant une vengeance assassine contre un ennemi dont je ne sais rien, sinon qu'il veut ma perte et la disparition de tout ce que j'aime.
Aussi quand les Puissances invisibles qui me gouvernent, bien en deçà des enfers, me disent de tuer, alors je tue!
J' ai, pour cela, un arsenal complet d'armes de diverses sortes et de multiples provenances: sabres de bois, sabres de samouraï, fusils à pierre, à tromblon, au canon scié, des pistolets militaires, des revolvers de western, des couteaux larges et longs comme des pelles à tarte.
Ce qui se passe? Voici: mes victimes se dressent à point nommé, plus menaçantes que le bourreau, mais déjà condamnées, le cœur désigné par un point rouge — et déjà elles s'écroulent, un centième de seconde avant que je n'aie tiré ou que je n'aie frappé.
En vérité, sous l'effet d'une fatalité dont je ne suis que l'exécutant (ou le prétexte), elles s'écroulent sans un cri, sans un râle et un petit nuage s'élève du sol sous la chute des corps, lourds comme ils sont et chargés d'oripeaux, de vêtements chamarrés, de baudriers bien garnis, parfois de sceptres et de couronnes. Les balayeurs aussitôt, sur la pointe des pieds, enlèvent ces vestiges et vont sans bruit les ranger plus loin dans le vestiaire vertigineux.
Ailleurs, sous un balcon chargé de glycines en papier, il est arrivé que je m'égare au milieu d'un grand salon éclairé de lustres en cristal, où des rentiers louis-philippards en costumes aux tons délicats: puce, chamois, beige, gris perle, robes en cloche, bijoux éblouissants, échangeaient de fades propos. Mais au moindre souffle, au revoir ! Les visages s'effacèrent, les perruques blondes, les barbes noires ont jonché le sol. Tout s'effondrait, les vêtements étaient vides. Mais encore, qui pourrait rendre le pas, qui s'envole et retombe mollement — si lourd, accompagné par les ictus des basses, si léger dans l'escalade aiguë des clarinettes —, de ce Pierrot classique, ravivé par l'imprévu des dissonances, le même peut-être, qui, de face, autrefois, immobile et l'œil fixe, sous le nom de Gilles, trahissait l'hébétude et la fatigue de savoir que tout est vain? Explose alors une gerbe de fleurs jamais vues, tisons assourdis sous la cendre. Oui, sur les murs de mon théâtre, tachés de rouille, griffés de rayures à peine discernables et de «bonhommes» en graffiti, des corolles bariolées font alterner ou se joindre un bleu promis plutôt que tenu, le vert puisé dans une mémoire profonde, le violet qu'il faut imaginer pour y croire. Avec les senteurs qu'ils suggèrent, ces pétales poudrés de pollen éclatent comme des sons, comme des cris et je n'ai pas à les cueillir, car ils sont, en moi, une réponse possible et victorieuse au blond sapin capitonné qui nous attend.
Arrive, à ce moment, une fanfare citadine qui marque le pas d'une petite troupe en marche. Les buffleteries, les larges ceintures de soie sur des redingotes rebondies, les manches de dentelles, les visages surmontés de chapeaux enrubannés surgissent dans la nuit (on les distingue à peine à la lueur des lanternes).
Après leur passage et le bruit des bottes qui décroît, porté par l'écho des canaux dormants, tout retombe dans une épaisse obscurité. S'avance alors une autre figure de femme, grande et mince, elle aussi, mais ses longs vêtements de bure, sa coiffe de nonne et la rigueur anguleuse de ses gestes sont inscrits dans une géométrie savante, soigneusement dissimulée. Elle élève au-dessus de sa tête une torche de résine dont la flamme toute droite l'éclairé d'un seul côté. Elle se penche et découvre à ses pieds, sur la paille, le corps ridé de Job reconnaissable à sa maigreur extrême.
À peine cette vision a-t-elle tremblé dans mon regard, la voici qui vacille et s'éteint. J'entends un déclic mécanique aussitôt suivi du grignotement saccadé d'un film qui défile. Surgit la vision grisâtre d'une banlieue pauvre de New York, où se disputent des enfants déguenillés et où s'avance en sautillant un petit homme qui fait des moulinets avec sa canne.
La moue qui agite sa moustache noire, l'équilibre menacé de son chapeau melon, tout exprime à la fois une mélancolie sans remède et la < dérision qui venge le malheur. Soudain, il se retourne et s'éloigne. Il: court vite, chevauchant un énorme sillon dans un champ si monotone ! et si vaste qu'au loin déjà il n'est plus qu'un point, le signe de la fin des temps.
Surtout, ne venez pas me réveiller ! Ne marchez pas sur l'or factice de mes spectacles ! De ce côté-ci où je demeure, solitaire et oublié comme si déjà m'abritait mon sépulcre, je vois les temples superposés dont les degrés fatiguent les géants, tandis qu'un peu plus loin, s'assombrit l'horizon orageux où des cavaliers au manteau déployé par le vent galopent sur une route en lacets et que les feuilles mortes s'éparpillent dans l'air, accompagnées d'oiseaux qui sont les traits mêmes de l'idéogramme vertical, distincts et nets sur la rondeur de l'astre rouge... Dans mon théâtre se succèdent, à la vitesse du rêve, un faux malade qui crache du vrai sang et qui, pour nous sauver, agonise dans son rire, la grâce divine des voix et des violons, entraînée vers la mort par une main de pierre, au glas répété des timbales, un ascenseur qui ne cesse d'aller et venir entre les sous-sols et les cintres, faisant descendre sur des nuages les dieux arrogants de l'Olympe et monter des enfers provinciaux une famille en noir qui cherche son auteur. Pardonnez-moi ! J'ai eu parfois l'audace impie (sans prévenir 1 Econome ni les machinistes) d'introduire en fraude, dans le magasin général, quelques menus accessoires (par exemple un trou de serrure, un guichet d'ancienne gare, des pupitres où nul ne chante) et de vous Passer, comme une maladie, quelques-uns de mes songes animés: la confusion des mots (ce masque d'un profond silence), la détresse de ceux qui n'auront jamais le droit d'être vus de nos yeux, la foule qui se referme sur les amants pour les dévorer dans un souterrain, le pernicieux sommeil qui lâche la bride à nos monstres — et ce pressentiment dont je ne suis pas digne et que nul ne fait qu'entrevoir. Adieu ! J'ai trop parlé, mais je suis libre... Je fais ce que je veux avec ce que je crois savoir et ma mémoire fouille sans fin dans le monceau des choses que j'ignore.
Encore quelques enjambées dans cette course haletante vers le secret qui se dérobe (dont j'entends le rire d'enfant, dont je perçois la lueur dansante) et je parviendrai à retrouver, dans ce théâtre d'ombres, ce que peut-être j'ai su dans un autre temps, sous une autre enveloppe et que je cherche sans relâche et que j'ai oublié.

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